Il y a quelques semaines, la galerie Sheriff à paris accueillait l’exposition collective ‘IF THERE'S SPACE I’LL STAY, IF THERE'S TIME I’LL SING’, lieux de rencontre de narratives d’artistes qui avaient toustes choisi l’Arménie comme point de départ. Poésie, photographie et musique retracent le paysage passé et en évolution de cette culture. Nous avons demandé au compositeur et producteur Antoine Daviaud de nous expliquer son œuvre sonore présentée en accompagnement de cette exposition.
L’exposition IF THERE'S SPACE I’LL STAY, IF THERE'S TIME I’LL SING représentait un défi en termes de mise en son. Comment accompagner les visiteurs dans cette déambulation parmi les photos de Patrick Bienert (@patrick_bienert) et Suzanna Spertsyan (@suspertsyan), l’œuvre de Nensi Avetisan (@nensiavetisian) ? Quels outils, quelles matières employer ?
Les longues discussions avec Suzanna sur le cœur de ce projet, ses enjeux et ses différentes thématiques ont permis de poser les éléments architecturaux : une longue déambulation dont la quasi-totalité des sons proviendrait directement des heures d’enregistrements que j'avais faits en Arménie en 2021.
Dès lors se pose la question du vocabulaire sonore à utiliser : comment accompagner les réflexions que proposent l’exposition tout en s’adaptant à l’écoute passive que suggère l'espace de la galerie ?
Le cœur de la syntaxe sonore s’impose rapidement : j'avais eu la chance d’enregistrer Kenas reprenant certains chants de Komitas (figure historique du patrimoine musical arménien) dans une des grandes églises de Yerevan. Ces enregistrements répondaient parfaitement aux problématiques de l’exposition : un jeune Arménien qui reprend des chants traditionnels dans l’espace spirituel que représente l’église. Il y avait déjà dans ces chants quelque chose de l’ordre de la mélancolie fantomatique.
Mieux encore, il y avait dans ces enregistrements les échos de la vie urbaine environnant l’église : les klaxons, la circulation incessante, cohabitent avec les chants dans l’espace sonore de l’église. Il était certain pour nous qu’il fallait garder ces éléments sonores urbains tant ils disaient quelque chose de la cohabitation du bruit du monde avec une forme de spiritualité.
Une fois ce cœur établi, le meilleur moyen de répondre aux enjeux de l’exposition était de déployer le vocabulaire sonore au travers d’un système de renvois et d’apparition/disparition, pour fabriquer un espace propre à la galerie et à l’exposition, entre Paris et l’Arménie. Passer de lieux concrets, via le field recording d’espaces identifiables, à des lieux abstraits comme le field recording retravaillé pour en obtenir des textures et de la spatialité.
La continuité de ces mouvements est assuré par les éléments musicaux : les voix de Kenas, la partition de cordes en flutuandi, les synthés et la cloche arménienne. Donner aux objets sonores tonaux un rôle structurel plus que thématique nous permettaient d’éviter d’aller puiser dans un imaginaire musical collectif au profit d’une sensorialité du son et de la texture.
Dans cette perspective, j'ai retravaillé les field recordings que j’avais enregistré sur place pour fabriquer cet espace autonome de l’exposition : tantôt en puisant dans les enregistrements brutes du Matenadaran (musée des manuscrits de Yerevan), pour renvoyer à l’espace muséographique lui-même, et à ce qu’il suppose d’évocation ; tantôt en retravaillant du field recording d’espaces naturels de manière à « ouvrir » le lieu.
De même, la sculpture de certains enregistrements au travers de filtres, de reverbs et de différents traitements permet de faire naître d’objets sonores concrets comme une rue, une forêt, etc. Une texture dont les caractéristiques semblaient répondre à un sentiment qui traverse toute l’exposition : la présence en creux de quelque chose qui n'est plus tout à fait là.
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Vous pouvez écouter la composition complète sur le site de l'artiste.
Vous pouvez suivre Antoine Daviaud ici.
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