Le 31 mai dernier, Basile3 sortait son premier album 43°C sur le label InFine Music. Dans 43°C, Basile3 fusionne des influences multiples dans une euphorie club toujours un peu court-circuitée, pour enrayer la machine et simplement arriver à respirer un peu à travers la canicule. Nous l’avons rencontré pour discuter d’accidents sonores, de fortes chaleurs et de sa pratique du partage, entre autres choses.
mana : On t’a découvert à travers plusieurs EP, mixes et dj sets… Tu sors pour la première fois un album, qu’est-ce que ce format change pour toi ?
Basile3 : J’avais déjà fait des formats un peu longs par le passé, sous un autre nom (Basile tout court), mais là ouais, c’est mon premier vrai album officiel. Je pense que c’est un peu l’aventure InFiné Music qui m’a conduit vers l’album. Quand je les ai rencontré.e.s il y a quelque années, c’était un peu le projet à terme. Il y a eu d’abord plusieurs EP, et puis voilà, on s’est lancé dans le format album. Et ça me disait bien de le faire.
Là où les tracks ambient de tes EP étaient contemplatives, cet album renvoie à une urgence plus club. Dans 43°C, il y a ce dialogue permanent entre la pression et le relâchement, entre la précision et la fragilité. On y entend par exemple le motif récurrent du souffle, pourquoi ça ?
Ce que j'avais pas trop fait avant et que j’avais envie de faire dans cet album, c’est d'intégrer un peu ma voix. Je fais attention au choix des samples ; ils nourrissent la musique club et viennent de plein de scènes culturelles de partout dans le monde et qui ne sont pas les miennes. J’avais envie de ce mélange tout en créant quelque chose d’intime. Donc j’ai assez simplement voulu utiliser ma voix et mon souffle. C’était aussi pour ajouter quelque chose d’assez humain et fragile dans une musique qui est faite par ordinateur de manière assez chirurgicale. J’avais envie d’avoir ces petits trucs imprécis et vulnérables. C’est également une référence aux productions de Timbaland qui utilisait sa voix pour faire des rythmes, mais c’est aussi en lien avec les problèmes atmosphériques et la qualité de l’air qui devient compliquée, c’est vraiment tout ça à la fois.
Tu passes aussi avec cet album d’une esthétique et de sonorités plutôt automnales à quelque chose de plus estival. Il y a parfois une certaine euphorie dans tes morceaux, mais qui vient être troublée par une tension : quelque chose cloche. Pourquoi ce choix ?
C'est pas vraiment fait de manière consciente. Après je sais pas, il y a souvent un besoin d’arriver à se mettre dans un bulle d’extase avec des sonorités hyper rapides, mais que je viens contraster ensuite. Enfin, le titre 43°C et cette atmosphère estivale c’est aussi un clin d’œil pour les gens qui me connaissent un peu. L’été, je ne supporte pas la chaleur et le soleil. C’est pourtant le moment qui devrait être celui des moments festifs. Mais en fait ça devient des moments un peu compliqués où je ne sais plus où aller, où je ne sais plus quoi faire. Tout paraît être fait pour s’amuser plus, faire des choses, et je me retrouve là à avoir du mal. Et ces dernières années d’été, c’est de pire en pire avec les fortes chaleurs. Il y a des moments comme ça où c’est ce qu’on appelle la solastalgie, un espèce de spleen lié à tout ça. C’est bien mais en fait c’est trop bien, et c’est pas normal.

Il y a dans tes tracks une intrication entre l’équilibre droit de la grille et quelque chose qui vient la troubler en y injectant de l’émotion par divers moyens. D’où te vient cette ambivalence ?
Je crois que quand je fais de la musique j’ai besoin qu’il y ait des petits trucs qui m’excitent un peu dans les détails. Donc c’est peut-être chercher et trouver ces petits interstices et ces petits bugs.. Et puis, qu’ils retombent sur quelque chose d’assez froid et d’assez droit. Après, sans avoir forcément réfléchi à un thème en commençant l’album, ça vient aussi de la manière dont je compose. Il y a des choses qui me traversent et qui ne sont pas les miennes, mais qui sont de l’ordre de ce paradoxe entre aimer cette musique électronique qui peut parfois être joyeuse, très contemporaine et très technologique, et en même temps sentir que c’est peut-être une fausse route aussi dans un sens, alors qu’on est face à un impératif de société où il faudrait arrêter la surconsommation globale et apprendre à désaccélérer, peut-être utiliser moins de technologies, en tout cas moins être dans une course en avant permanente. Je suis un peu traversé par ce paradoxe, j’ai à la fois envie de faire cette musique assez joyeuse et contemporaine et en même temps j’ai envie de créer quelques mini-accidents, juste pour nuancer ce tableau. C’est un peu ça l’idée.
On retrouve aussi cette idée dans la structure de l’album, en ralentissement tardif mais marqué.
Carrément. C’est assez clair à la fin parce que les deux derniers morceaux se finissent vraiment dans la destruction totale, dans le bug. Mais ça a été un challenge de faire la tracklist, j’y ai pas pensé beaucoup en amont, c’est venu un peu au fur et à mesure.
Ces mini-accidents dont tu parles et qui jalonnent tes tracks, ils sont toujours évanescents. Ils viennent court-circuiter, mais seulement pour relancer en disparaissant après quelques boucles. Cette impression d’éphémère et d’incontrôlable, c’est quelque chose que tu recherches ?
Oui, je pense que c’est aussi ce qui m’a assez vite attiré dans la musique, dans plein de styles différents. Peut-être que maintenant un peu moins, mais avant j’avais besoin de cette simulation assez fréquente. Ces accidents, ça peut aussi venir du matériel d’enregistrement. Parfois c’est des sons que j’ai enregistré avec un micro électromagnétique, ça donne un peu l’impression d’une autre couche , comme dans un film avec la couche bruitage qui vient se superposer à la musique, un peu cette idée-là.
C’est des trucs qu’on retrouve dans le glitch, c’est un courant qui te parle ?
Ouais carrément ! C’est assez marrant parce que je viens pas forcément de là mais avec cet album, au fur et à mesure de le faire, je me suis pas mal référé en parallèle à cette époque-là. J’ai recreusé dans certains albums d’electronica des années 2000, et je les trouvais hyper contemporains. Dans quelque chose d’assez froid, précis et chirurgical, mais en même temps avec ses accidents technologiques. Il y a notamment un album qui m’a un peu mené vers là. Je suis un gros fan de Ryuichi Sakamoto et j’étais tombé sur son album Chasm, qui est plein de tracks vraiment très glitch et qui tout à coup s’ouvrent sur quelque chose de très mélodique et romantique. Ça m'a bien parlé pendant le projet.
Dans tes morceaux, on peut déceler un refus ou une altération de la forme chanson, que ce soit sur l’expression vocale ou sur la structure. Tu as pu collaborer avec des artistes qui ont cette culture et cette pratique (Simili Gum, Tommy Moisi…). Quand les voix sont présentes dans 43°C, elles sont altérées, rendues inaudibles ou choppées. Les itérations accidentées empêchent une progression de la structure régulière avec couplets et refrains identifiables, on oscille entre refus et tension vers l’évidence. Quel est ton rapport à la chanson ?
C’est vrai qu’il n’y a pas vraiment de refrain ou de couplet, je viens plutôt de la musique club, du DJing, et j’ai intégré ces structures dans la manière de construire mes morceaux. Et en même temps, j’écoute vachement de pop, de RnB, etc… Du coup, je n’arrive jamais à faire des morceaux que club ! Finalement, je vais toujours me rattacher plus ou moins à des éléments qui font en effet plus chanson. J’ai pas mal collaboré avec des chanteurs ou chanteuses, je ne me l’explique pas vraiment. Mais clairement, il y a beaucoup de références à la pop dans l’album. Il y a un groupe que je reviens toujours écouter, c’est Hot Chip, en particulier les premiers albums. Un groupe d’anglais qui jouent avec plein de petits synthés et boîtes à rythmes, et un lead-singer. Il y a là-dedans un peu un truc de l’ordre de la bricole qui m’a toujours parlé. Même si je chante pas du tout, j’utilise une voix un peu radiophonique, et je superpose plein de couches en bricolant un peu, avec des samples que j’enregistre, que je retravaille, avec des sonorités un peu personnelles.
43°C est un album de club music très dynamique et engageant mais plein de contrastes. Quel est ton rapport au club, aux soirées ?
Je vis à Bruxelles maintenant. Parfois j’aime sortir, mais pas forcément en club. Je crois que maintenant j’aime sortir quand on sait qu’il y aura une bonne ambiance, des ami.e.s, le tout dans un lieu assez chouette. Mais c’est pas hyper fréquent. Souvent dans les festivals qui cumulent les DJ sets par exemple, il y a un truc assez vertical et déconnecté dans le rapport entre l’artiste et le public qui m’excite pas trop. Je vais plutôt voir des lives maintenant, j’ai eu quelques moments d’épiphanie quand même. Mes premières soirées club, c’était au Social Club, où jouait la musique qui m’excitait alors, et où j’ai vécu plein de bons moments, mais en même temps dans un environnement social et de club que je trouvais nul et hyper malsain. Donc c’est un rapport personnel toujours un peu compliqué quand même. Mais à Paris, il y a des lieux vraiment sympa comme La Station.
Qu’est-ce qui a guidé le choix de tes guests sur cet album ?
Je suis assez content de cette team, qui est pas forcément évidente : Daisy Ray, Lloydfears, Lucy Sissy Miller, Thelma Cappello... Je voulais quelque chose qui fasse sens avec ce projet. Quand j’avais un morceau, j’imaginais des genres de voix puis je cherchais parmi mes connaissances élargies. Je veux aussi mentionner Minor Science qui a mixé l’album. J’étais hyper content qu’il soit intéressé et emballé par le projet. Son album Second Language m’avait notamment bien parlé, sur ce truc de références multiples et en même temps d’arriver à trouver son propre langage.
Ta musique est traversée par plein d’influences différentes. T’as aussi une pratique du partage de la musique à travers tes mixes ou un compte instagram dédié (@audio.sharing). A quel point c’est important pour toi ?
C’est vrai que c’est assez important. Je pense que depuis assez jeune, je suis un bon gros nerd de la musique. J'aime un peu écouter plein de choses, être assez précis dans mes goûts. Et je pense que la manière dont je produis de la musique, c'est un peu aussi une espèce de carte mentale de tout plein de détails qui vont me parler, dans plein d’univers. Par exemple, je ne vais pas me définir comme quelqu'un qui a une énorme culture RnB. Ce n'est pas mon identité, mais il y a certaines choses, certains interstices dans les morceaux de RnB qui me parlent beaucoup, mais aussi dans de la pop, ou même dans la noise, dans plein de choses différentes ! Je pense que la manière dont je fais de la musique est imprégnée de ça, de plein de petites idées qui m'ont stimulé. Quand je fais mes dj sets, je cherche toujours à mélanger des univers et des artistes qui n'appartiennent pas forcément aux mêmes scènes mais qui au final vont réussir à faire sens pour moi. J’ai un peu baigné dans cette idée-là. Au début, quand j’avais 16 ans, je suis arrivé dans la musique électronique avec Headbanger et tout, comme beaucoup de gens à ce moment-là. Mais assez vite, Sound Pellegrino est arrivé, Club Cheval… Et là, j’étais assez fasciné tout à coup par cette musique électronique qui mélangeait tout plein de genres différents pour fabriquer des choses nouvelles, d’une manière très créative et avec beaucoup de libertés. Je pense que je viens de là et c’est hyper important dans ma construction. Cet album c’est peut-être aussi une synthèse, un hommage à toutes ces choses-là, que des gens d’autres générations ne se sont pas pris de la même façon, parce que chaque génération prend le bateau en route d’une manière qui lui est propre. On verra ce qu'il se passe après cet album, mais j'ai l'impression d'être arrivé un peu au bout d'une pratique aussi, au bout d’une manière de faire la musique et d’une manière de la digérer aussi au fil du temps.
Cette envie d’autre chose résonne avec ce que tu disais plus tôt sur la destruction des dernières tracks de l’album. Ce serait quoi l’après ?
Oui, je me dis que c’est peut-être la dernière fois que je fais un truc comme ça, je me pose des questions sur l’évolution de ma pratique. Je suis en train de me remettre à la théorie musicale un peu pour essayer de trouver d’autres manières de composer. Pour la scène aussi, c’est un défi de présenter ma musique en live, parce qu' il y a pas vraiment de solution évidente. Mais globalement, j’essaie de ne pas faire trop de scènes, même si économiquement ce n’est pas le plus simple. L’économie de la musique c’est la lutte, même si on a beaucoup de chances d’avoir l’intermittence en France, il faut pouvoir la conserver. Mais là je vais commencer la musique pour un court-métrage, j’aimerais bien me mettre plus à la composition. Ça m'attire pour les contraintes que ça représente. Travailler pour la vision de quelqu’un d’autre. J’ai un peu développé ce rôle-là, d’accompagnement de projet, d’arrangements. C’est un truc que j’ai envie de faire, me mettre au service d’une histoire et d’un univers déjà là. C’est ce que j’avais fait pour l’album de Sabrina Bellaouel, ou quand je jouais en live avec Gaspar Claus. A la fois répondre aux envies de la personne et trouver les chemins qui m’excitent en même temps, j’aime bien cette position de mise en retrait. Même si mixer de temps en temps ça reste cool !
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Interview realisée par Antoine Malo.
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