Chaque année, la Station Gare des Mines rassemble les audiences curieuses le temps d’un week-end pour le festival Station Électronique. Du 8 au 9 septembre, vous aurez l’occasion de découvrir un palmarès d’artistes qui imaginent différemment les réverbérations du son dans le club. Écoute et mouvement s’allient pour une expérience unique qui explore le large spectre de la musique électronique. Cette année, l’artiste australienne, Corin, présentera son dernier projet ‘Lux Aeterna’. Pour cette occasion, nous l’avons rencontré pour discuter de son parcours, et de l’importance des symboliques dans son travail.
mana : Hello Corin, peux-tu nous en dire plus sur la scène musicale en Australie et pourquoi tu penses que la plupart de tes concerts se bookent en Europe ?
Je suis principalement basée entre Melbourne et Sydney – deux villes très différentes, mais qui ont une très belle communauté locale d'artistes avec lesquel·les j'ai fait connaissance. J'ai beaucoup de gens avec qui collaborer, en particulier dans le monde des arts de la scène. L'Australie a une scène musicale énorme, mais en ce qui me concerne, je trouve qu’il y a encore trop peu d’opportunités de performance pour de la musique électronique expérimentale.
Je pense qu'il y a plus de communautés de niche de musique électronique à travers l'Europe, qu'en Australie. Elles existent, mais à plus petite échelle. Cela ne veut pas dire que le talent n'existe pas ici, juste qu'il n'y a pas autant d’occasions de se produire. Heureusement, les choses changent grâce aux évènements communautaires qui font bouger les choses.
En revenant sur ton travail, tu détiens une formation en théâtre et en sound design. Comment la performance et l'art se retrouvent-ils dans votre travail ?
J'ai commencé mon projet solo en 2015 après avoir travaillé comme compositrice dans le monde de l’art et de la danse. Je collabore souvent avec des artistes qui font des performances incroyables, comme Justin Shoulder, d’origine Philippine comme moi confectionne des costumes incroyables et des décors gonflables. J’ai composé pour lui et c'était un des points d’entrée dans ce monde de la musique électronique.
Il y a aussi eu une autre artiste, Angela Goh, qui fait de la danse contemporaine et j’ai également pu travailler sur un spectacle pour l’Opéra de Sydney en 2021.
Mon entrée dans le monde du théâtre en tant que compositrice est un peu venue par hasard. Je n’avais jamais écrit de musique dans ce contexte, donc c’était un nouveau terrain pour moi. J’apprenais les choses sur le pouce. Dans ce cheminement, j’ai pu prendre confiance pour pouvoir construire mon propre langage, en termes de composition, de musique pour le mouvement et pour des espaces particuliers. J’aime construire avec des artistes qui viennent d’autres mondes que moi : ça me pousse à interpréter leurs idées en forme sonore.
Créer du son pour le mouvement et des espaces particuliers, j'ai l'impression que c'est quelque chose qui est véhiculée dans "Lux Aeterna", quand tu parles de la pesanteur et de légèreté. En quoi ces éléments étaient-ils importants pour cet album ?
À l’époque où je composais la musique du spectacle de danse d’Angela Goh « Sky Blue Mythic » nous imaginions que le mouvement avait sa propre sensibilité. Je voulais appliquer une idée similaire à la musique et jouer avec cette idée du son lui-même, ayant une sorte de qualité dimensionnelle extérieure.
J'expérimentais un format de son surround, huit canaux. Nous avions des enceintes au sol et au plafond, et je jouais avec le son de sorte que c'était comme s'il se déplaçait verticalement de haut en bas dans l'espace. Il s’agissait d’une combinaison de déplacement du son dans l’espace, mais également d’y appliquer certains effets. Dans ce processus, j'ai commencé à réfléchir à cette idée de pesanteur dans le son.
Dans le clip de « Lux Aeterna », il semble aussi y avoir cette idée de modification, par rapport aux arts virtuels, à l'infographie, au gaming, etc.
Tristan Jalleh est l’artiste visuel qui a créé toutes mes animations depuis 2017. C’est probablement la collaboration la plus longue que j’ai eue et, ce faisant, nous avons pu voir nos styles évoluer ensemble. ‘Lux Aeterna' est sûrement le premier album où j’avais une idée très précise de ce que je voulais en termes de sonorité et dans la forme visuelle. J’ai fait pas mal de moodboard. Deux choses en sont issues : le live et le clip vidéo, qui vient d’être mis en avant par Fact Magazine.
L'idée du clip est née en 2020, alors que nous étions en confinement. Il y avait beaucoup d'intérêt pour la création de clubs virtuels et de performances en ligne. Je voulais imaginer une performance qui comprenait mon univers tout en l’englobant de cette couche de fantaisie virtuelle. Avec Tristan, on voulait explorer les effets visuels utilisés dans les films de science-fiction – ce style old school consistant à fusionner des accessoires d'aspect réaliste avec des animations.
J'ai également une formation en théâtre et j'ai toujours été entouré d'artistes, comme Justin Shoulder, qui travaillent avec de véritables sculptures tangibles et sont motivé·es par l'artisanat. Nous avons donc décidé de créer un clip centré autour d'un instrument de musique hybride : j’ai créé un véritable clavier à partir des restes d'un piano abandonné.
En parlant de piano, il y en a des fragments dans cet album. Quelle est l'importance des instruments électroacoustiques dans ton travail ?
Il y a principalement des samples dans cet album, bien qu'il y ait quelques improvisations live au piano. Ils ont été enregistrés dans une incroyable galerie à Sydney : Phoenix Central Park. Visuellement, j’adore ce bâtiment, car il me rappelle le film « Bienvenue à Gattaca ». Le piano sur lequel j'ai joué est l'un des plus célestes que j'ai jamais vus. Au cours de cette expérience, j'ai réalisé que l'architecture des espaces dans lesquels je joue peut vraiment influencer le type de musique que je fais.
Pour en revenir à l'idée d'espace, je pense qu'il y a une idée d'éternité dans ton album. Tu as aussi évoqué l’attrait pour le céleste. Quel est ton univers visuel idéal et de quoi t'inspires-tu ?
Le personnage auquel nous avons donné naissance pour la vidéo est dérivé de l’iconographie de L'Immaculée Conception de la Vierge Marie. J’ai été accompagnée d’une équipe de costumier·ères incroyables (Justin Shoulder, Anthony Aitch et Willow Darling). Lorsque Justin a conçu le vêtement du personnage, il voulait qu'il ait l'apparence de coquillages ou qu'il ressemble à une scarification. C'était en partie influencé par des thèmes de la mythologie philippine parce que nous avons tous les deux cet héritage commun. Le casque conçu par Anthony Aitch est un magnifique halo qui transforme mon visage, de sorte qu'il ressemble presque à des anneaux autour de Saturne.
Je ne suis pas profondément religieuse, mais je trouve la beauté dans ces univers. J'aime la qualité éthérée de cette image, mais elle a aussi quelque chose d'assez menaçant. L'Immaculée Conception de la Vierge Marie a un globe sphérique sur lequel elle se tient avec des serpents autour de ses pieds. Il a aussi cette qualité démoniaque. Ma mère était profondément catholique : je me souviens d’avoir vu cette statue et de me dire que c’était une dichotomie étrange.
Une dichotomie spirituelle qui se heurte à l'imagerie de science-fiction dont tu sembles t’inspirer !
Oui absolument. Je voulais lui donner une tournure différente. J’ai donc dit aux costumier·ères que je voulais que le clip représente une « mère de la technologie ». Je ne sais pas si tu as déjà regardé "Raised by Wolves", mais c'est très inspiré par le personnage principal de la série.
Je voudrais revenir sur l'aspect de la légèreté. J'ai l'impression que la musique expérimentale est encore mal comprise, toujours perçue comme quelque chose d'assez sombre et lourd. À travers ta vidéo et l’album, tu la rends plus atmosphérique en tentant de faire flotter les compositions. Quel est ton point de vue à ce sujet ?
Lorsque je construis mes performances, je me concentre sur la création d’une sorte de variation dynamique. Pour moi, c'est l'équilibre entre la lumière et l'obscurité. Je réfléchis toujours à la façon de créer ce type de tension et de libération. Il y a des moments assez sombres, mais il y a toujours des moments de libération vers quelque chose de plus clair… Je pense que sans cette dualité entre la clarté et l'obscurité, on ne remarque même pas les qualités de l’un des deux. Ils sont complémentaires.
Quelle est ton approche au live ou au dj set ?
Je trouve qu'il y a de la musique électronique qui existe pour se gratifier soi-même – ces expériences extatiques que vous vivez lorsque vous dansez à un incroyable DJ set dans un club. C'est vraiment génial et je respecte les gens qui donnent ce type de performance, mais il y a aussi de la place dans le monde pour avoir des performances avec un peu plus de variations. J’étais en première partie de Oneohtrix Point Never au festival Illuminate en Australie, et c'était très inspirant de le voir jouer. Il entrait et sortait d'ambiances et de genres différents : on culmine dans cette euphorie générée par de la trance EDM, mais ensuite, il se retire complètement et change de direction. J'aime ce type de performance parce que les gens sont sur leurs gardes.
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